Arthur Machen

Arthur Machen, entre le Saint Graal et le dieu Pan de Jean-Claude Allamanche, Editions Télètes.

C’est un beau portrait d’un homme très peu ordinaire que nous propose Jean-Claude Allamanche. Arthur Machen (1868-1947) laissa une œuvre fantastique très surprenante, nourrie des traditions du celtisme mais aussi de cet occultisme qui s’épanouit à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Couv Arthur Machen

Son enfance dans le Monmouthshire, aux confins du Pays de Galles et de l’Angleterre, ne fut pas étrangère à la construction de son écriture. Terre de légendes, propice au mysticisme et à la solitude, le réceptacle du presbytère de Llanddewi où il devait grandir aura sans doute influencé fortement Arthur Machen, favorisant son intérêt pour l’occultisme, la magie et les traditions initiatiques.

A 17 ans, il arrive à Londres. Etudiant en journalisme, très isolé, sans moyens financiers, exerçant des petits métiers pour survivre, sa vie resta difficile jusqu’à son retour dans le Gwent en 1887. Pour gagner sa vie, il devient traducteur de livres français. Il va notamment traduire l’Heptaméron de Marguerite de Navarre et Les Mémoires de Casanova. Il travaille aussi chez divers éditeurs avant d’entamer en 1881 sa carrière de journaliste et d’écrivain.

Les premiers essais datent de 1884. En 1887, de retour à Londres, il se marie avec Amelia Hogg avec qui il vécut jusqu’à la mort de celle-ci en 1899. Ces douze années de vie commune furent heureuses. Amy, son épouse, l’introduisit dans les milieux d’écrivains qui lui étaient familiers.

Le français Paul-Jean Toulet, séduit par The Great God Pan, en assure la traduction et lui trouve un éditeur. C’est grâce à lui qu’Arthur Machen sera connu en France de quelques passionnés.

En 1904, Arthur Machen publie La Colline des rêves en feuilleton dans la revue The Horlick’s Magazine. Cette œuvre est considérée comme la meilleure par les critiques.

C’est à l’âge de 36 ans qu’il renonce provisoirement à la littérature pour se consacrer au théâtre. C’est à cette même période, après la mort d’Amy, qu’il est initié dans la Golden Dawn par la médiation d’A. E. Waite. Il s’investira fortement dans les pratiques magiques proposées.

En 1903, il se remarie avec une actrice, Dorothie Purefoy Huddedlestone. Installés à Londres, « ils mènent une vie de bohêmes heureux, entourés d’une bande d’amis fidèles », nous dit Jean-Claude Allamanche. En 1906, il reprend quelque peu l’écriture et se voit de nouveau publié mais il faudra attendre 1919 pour que le succès arrive. Entre temps, il quitte le théâtre en 1913 pour reprendre le journalisme, dans un quotidien londonien, The Evening News.

C’est en 1914 qu’il renoue vraiment avec l’écriture et inaugure une période chrétienne qui contraste avec la période païenne antérieure. Il part alors à la recherche du christianisme primitif.

Jean-Claude Allamanche étudie les modalités d’une œuvre complexe, apparemment sans unité mais qui toutefois présente des constantes. Nous sommes en présence dit-il d’un « philosophe de l’effroi » dont l’œuvre dérange et suscite le rejet. C’est une œuvre qui s’éprouve dans la chair, suggère-t-il, plutôt que de nourrir la spéculation intellectuelle. Il y a bien un cheminement, marqué par la solitude enfantine, qui traverse les mythes païens, fait alliance avec le petit peuple et les fées pour aboutir à un mysticisme chrétien.

Mais il y a aussi le « métaphysicien du mal » qui interroge aussi bien la réalité quotidienne que des dimensions invisibles, à la recherche d’une transcendance. Cet « artiste du merveilleux », selon Philip Van Doren Stern, resta, sa vie durant, tendu entre l’obscurité et la lumière.

« Si son mysticisme est le soubassement de son œuvre, suggère Jean-Claude Allamanche, il le scindera en deux apparences distinctes où le diabolisme le dispute à l’extase divine, de la damnation à la rédemption. »

Editions Télètes, 51 rue de la Condamine, 75017 Paris, France.

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux, illustrations d’Yves Budin Editions Les Carnets du Dessert de Lune.

Nous retrouvons avec grand intérêt l’un des meilleurs poètes français dans une salutaire décréation magique, à l’assaut de tous les simulacres, de toutes les fausses citadelles, des douleurs non de l’être mais d’être, un solve sanglant qui évacue un trop plein infiniment trompeur.

Chez Jean-Christophe Belleveaux, les voyages dans les géographies du monde ne conduisent pas à une cartographie intérieure. Il commence par dessiner des cartes du monde volontairement fausses pour explorer les espaces de la manière la plus juste qui soit. C’est une queste de silence, de paix, de lumière qui se déploie à travers le bruit, la guerre, l’obscur, un contre-mensonge unique face à la multiplicité des contre-sens et contre-vérités. Un combat perdu d’avance mais qui se révèle une victoire éclatante de l’être en soi par le jeu des lettres en soi.

Dans un avant-propos, Jean-Jacques Marimbert fait une allusion au Grand Jeu. La poésie de Jean-Christophe Belleveaux est bien plus exigeante qu’une analyse freudienne ou qu’une introspection religieuse. Ce qui se donne à voir brûle le regard. Ce qui se dit est implacablement transperçant. Seule la transparence est acceptée. Le moi-peau est de trop. C’est dépecé que l’on peut s’approcher du réel.

 

il emploierait volontiers

la 3ème personne

pour se débarrasser du je

 

il sait bien

que cela ne suffira pas

à faire bouger les frontières

 

il sait que la grammaire

ne volera pas en éclats

pour autant

ni le lexique

ni l’orthodoxie

 

il essaie autre chose

un dessin :

c’est un visage

des ombres, un peu

de couleur rouge

         

mais il ajoute un mot :

sauvage

 

Les dessins d’Yves Budin soulignent crument cette solitude sauvage qui dévore la destinée. Plus personne. Des traces. A peine.

 

mais ça aussi : DRAPEAUX VIDES / pas même le blanc de la reddition ; il y avait sans doute la posture du combattant qui ne se rend pas – je dis bien posture – surtout cette idée de vide, d’aucune bannière, déjà les braises en moi, en attente de mon souffle pour les attiser

je me suis bagarré avec tout ça j’ai fait du doute un habit à peu près supportable

la grande fatigue, elle, me jette aux bords de l’impudeur : tout déballer, faire le tri ou alors foutre le feu tout de suite à l’entière baraque

ah, que je cesse tout d’abord avec la métaphore, que j’incendie pour de vrai le langage, que le cri se fasse, hors des trois lettres alphabétiques qui le composent !

c’en est trop !

 

Si la grammaire structure le monde, les mots peuvent-ils dissoudre le langage ? Le monde avec lui ?

 

alors dans le charabia

j’enfonce mon aiguille

et aspire

puis shoote le poison

dans la phrase

 

Les Carnets du Dessert de Lune, 67 rue de Venise, 1050 Bruxelles, Belgique.

www.dessertdelune.be

 

 

Mange Monde n°6

Mange Monde n°6 janvier 2014.

Nous retrouvons Mange Monde et ses traditionnels deux grands entretiens, le premier avec Andrea Iacovella, le second avec Jean-Pierre Siméon.

Andrea Iacovella est le cofondateur, avec son complice Dominique Baillon, des Editions La Rumeur Libre, fondée en 2007. La singularité créatrice de Andrea Iacovella réside peut-être en une double approche poétique et scientifique. A la question Qu’est-ce que l’artiste apporte au scientifique ? Qu’est-ce que le scientifique apporte à l’artiste ? il répond ainsi :

« Il existe une poésie qui est une poésie littéraire, une poésie de la lettre, de la littérature. Il existe aujourd’hui des tas de poésie qui sont issues de toutes les aventures humaines et artistiques du XXème siècle. Quand le poète explore l’activité du regard, l’activité de la voix, de l’oreille, celle des sonorités, les structures de la langue. Tout existe, tout cohabite. On est dans l’artistique et dans le littéraire. Dans ce contexte on assiste à l’émergence d’une poétique des matériaux, que les artistes plasticiens connaissent bien depuis toujours : avec du métal, du bois, du béton, etc. … matériau qui s’étend aujourd’hui au virtuel, par le numérique. »

Et de donner un exemple à Vincent Calvet, qui conduit l’entretien :

« Pour illustrer une différence entre l’écriture telle que tu la pratiques là sur ta feuille et l’écriture numérique : par exemple cet enregistreur que tu tiens dans la main, quelle est la différence entre les deux ? Pour ce qui est de ce papier que tu tiens où tu as préparé les questions, l’écriture, l’encre est solidaire du support. La version analogique de l’écriture que tu as utilisée est celle d’une inscription. L’inscription elle-même est solidaire du support qu’est la feuille. Tu ne peux pas dissocier les deux. Dans ce que tu es en train d’enregistrer ici, qui est un enregistreur digital, le support lui-même est une mémoire, et l’inscription numérique qui est dedans, ne sont plus solidaires l’une de l’autre mais sont indépendants : la nouvelle réside dans le fait que la voix a son propre support d’inscription ! C’est ce qu’on appelle la double inscription. Avec le numérique on entre dans une dimension de la double inscription. Cette double inscription ouvre des horizons insoupçonnés, un effet de démultiplication extraordinaire au niveau du sens. C’est un bouleversement majeur. »

Andrea Iacovella pointe là un trait essentiel de la situation qui est la nôtre aujourd’hui, trait que nous ne pouvons pas appréhender sans exiger de nous-mêmes un changement de paradigme. Il n’est pas anodin qu’il évoque la question du double à travers la double inscription. Ce « double » qui demande toujours à être investi est à la fois une clé et un voile jeté sur le réel.

Jean-Pierre Siméon est enseignant et auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes mais aussi de romans, pièces de théâtre et livres pour la jeunesse. Lors de l’entretien, il rend compte d’une approche dynamique et humaniste de la poésie :

« La poésie a toujours eu un soubassement populaire à travers des formes qui ne sont pas désignées comme poétiques. Il y a toujours eu, depuis l’aube des temps, une parole inscrite dans une communauté humaine, une parole qui n’est pas forcément la parole d’une élite mais qui serait plutôt une parole partagée, comme la religion. Et puis il y a toujours eu une interaction entre une poésie populaire, orale, et une poésie savante. »

« Oui, je défends une conception humaniste. Pour moi, la poésie dissone mais consonne à l’humain. Elle dissone car nous sommes dans un monde qui ne consonne pas à l’humain. Elle est une recherche fondamentale dans l’humain. Elle se pose sans cesse la question de l’homme dans ses énigmes, dans sa confrontation au réel. Je le revendique comme un humanisme conquérant et vigoureux. Ce n’est pas un humanisme compatissant, doloriste, ou du type rousseauiste, mais un humanisme qui saisit l’humain dans sa complexité et ses contradictions. Comme le disait Primo Lévi, l’inhumain, c’est Auschwitz dans soi-même. On a tous hélas cette pente-là de la dénégation de l’humain, de l’abjection. On a tous aussi en nous l’inverse de ça : le besoin de complétude, de plénitude et de conciliation. »

Cette lucidité est indispensable pour aborder une quête, qu’elle soit poétique, scientifique ou autre.

Au sommaire, le lecteur trouvera également de nombreux poèmes inédits d’auteurs très divers, les illustrations de Mazen Maarouf et un texte très intéressant de Tahar Bekri consacré à la place et à la fonction essentielles, et si difficiles à trouver ou manifester, de la poésie arabe dans le monde musulman d’aujourd’hui.

Mange Monde, Editions Rafael de Surtis, 7 rue Saint Michel, 81170 Cordes sur Ciel, France.

http://www.rafaeldesurtis.fr/